La
Provence 22 novembre 2001
La
pub est-elle prête à renoncer
au "porno chic" ?
Pour
vendre un vélo, un aspirateur ou un yaourt, les publicitaires jouent
beaucoup avec l'image de la femme. Un phénomène qui choque quatre
Français sur dix
![]() |
46%
des personnes interrogées pour un sondage pour le compte du
|
Elle
est maîtresse-femme pour les besoins d'une crème fraîche,
nue et offerte pour vendre un parfum, provocante pour promouvoir de la joaillerie
de luxe... Quatre Français sur dix se disent "heurtés"
par la manière dont on présente les femmes dans la publicité.
Par cette banalisation des ambiances "porno chic". "C'est un
phénomène que nous ne nions pas, explique Joseph Besnaïnou,
directeur général du Bureau de vérification de la publicité
(BVP).Annonceurs, agences, diffuseurs et nous au milieu, nous sommes tous
d'accord pour dire qu'il y a eu une exagération". Cette "exagération",
ces "dérapages", ceux qui connaissent bien l'univers de la
publicité les attribuent aux grandes maisons de luxe. "Elles ont
ouvert la voie, confirme Joseph Besnaïnou, elles sont sorties des sentiers
battus. Mais il faut savoir que ces maisons-là n'ont pas d'agence de
publicité".
La mission du BVP, association d'autodiscipline et service indépendant
(son financement est assuré à 80% par les cotisations des adhérents),
est de veiller au respect de la déontologie publicitaire. Il se prononce
par exemple sur une publicité par le moyen d'un avis. "Le BVP
n'est pas omniprésent mais il est influent", analyse Joseph Besnaïnou.
Pour tous les autres médias, à l'exception de la télé,
le BVP n'exerce qu'une mission de conseil auprès de ses adhérents,
sauf dans les cas d'auto-saisine, le dernier en date concernant une publicité
pour une marque de prêt-à-porter féminin.
Différences
d'analyses
Après avoir régné sur les pubs, le "porno chic"
deviendrait-il un phénomène démodé ? C'est ce
que l'on pense au BVP. On s'orienterait désormais vers des ambiances
"nature", des contextes environnementaux, une connotation écologique,
un retour vers les années 70.
Signe des temps, le BVP a pris une recommandation sur l'image de la
personne humaine, pour la substituer à celle portant sur la seule
image de la femme.
Reste que l'appréciation d'une pub dépend de celui (ou de celle)
qui la regarde.
Et le discours des uns se heurte souvent à celui des autres sans qu'aucun dialogue ne s'instaure réellement. Comme en témoigne la réaction suscitée par la marque Eram, mettant en scène un homme, une chaise et une autruche en précisant: "Aucun corps de femme n'a été exploité dans cette publicité". Ce qui a provoqué la colère de l'association Mix-Cité, qui estime que "on fait mine ici de tenir compte des critiques contre le sexisme dans les publicités pour mieux les détourner, les ridiculiser et augmenter ses ventes aux dépens des revendications d'égalité et de dignité".
Olga
Bibiloni
Nouvel
Observateur février
2002
A Roubaix, la tournante de la misère
Vendue pour 2 à 10 euros "la passe". Pendant plusieurs mois, des adolescents ont abusé de Sarah, 13 ans, et monnayé son calvaire. Enquête sur un monde où tous les repères ont disparu.
Pour eux, ce n'était qu'un jeu. Un jeu entre "mecs". Ils avaient juste envie de rigoler et de voir ce que cela fait d'être "sucé" par une fille. Puisque leur copine ne disait pas vraiment non, c'est qu'elle était d'accord. Alors pourquoi maintenant se plaint-elle? Pourquoi onze jeunes sont-ils accusés de l'avoir violée? Pourquoi en a-t-on envoyé cinq en prison? A Roubaix, dans les quartiers défavorisés du Cul-du-Four et de la Fosse-aux-Chênes, la colère gronde. |
||
Sourdement. Les policiers ont mis fin au regroupement quotidien de certains jeunes qui, cutters et couteaux brandis en direction de la maison des parents de Sarah, menaçaient de "faire la peau" à toute sa famille. Pendant au moins quatre mois, Sarah, 13 ans, a été violée par une bande de gamins âgés de 14 à 17 ans. Soumise à des fellations, à des sodomies - "pour pas qu'elle tombe enceinte", a reconnu l'un d'eux -, dans des terrains vagues, des caves et des escaliers d'immeubles. Elle a été battue, humiliée, avilie, et même vendue pour 2 à 10 euros "la passe". | ![]() |
|
Pourtant,
ce n'est pas elle mais ses agresseurs qui, pour nombre d'adolescents des
cités, font aujourd'hui figure de victimes. La peur que Sarah ne donne
d'autres noms aiguise l'agressivité contre elle et contre les institutions
judiciaires. Les onze mises en examen pour "viol en réunion", "complicité
de viols en réunion" et, concernant trois des garçons, pour "proxénétisme
aggravé", ne sont pas comprises. "Qu'est-ce que vous en avez à faire,
vous et la police? a dit l'oncle d'un des prévenus au principal du collège
où étaient scolarisés l'adolescente et certains de ses présumés violeurs.
C'est une histoire de jeunes. Elle était consentante. Et si ce n'est pas
le cas, montrez-moi les preuves!" Depuis le mois de septembre, Sarah rentrait
de plus en tard chez elle, après la sortie de l'école. Elle était alors
inscrite en quatrième au collège Anne-Frank, à la Fosse-aux-Chênes. Là
où vivaient sa mère, son beau-père, leurs quatre enfants, un chat et deux
chiens, dans un minuscule appartement sans chauffage ni eau chaude. Jusqu'à
cette époque Sarah était bonne élève. "Elle ne pensait qu'à ses devoirs",
dit sa mère, Nadja. Elle ne semblait pas souffrir des galères accumulées
par ses parents, tous deux RMIstes. "On a commencé à vraiment se
poser des questions quand on a vu ses notes baisser, dit Franck, le beau-père,
qui a connu Nadja alors qu'elle attendait un deuxième enfant et que Sarah
avait à peine 6 mois. "Sur son dernier bulletin, il n'y avait que des
zéros." Fin novembre, la famille s'installe dans le quartier du Cul-du-Four,
dans une modeste maison comportant trois chambres, un chauffage central
et une vraie salle de bains. Le bonheur. Le loyer, 488 euros (3200 francs),
est couvert par l'aide personnalisée au logement. Nadja vient de trouver
un contrat emploi-solidarité: elle surveille la sortie d'une école primaire.
Le couple commence à reprendre le dessus. Pourtant, "Sarah devenait de
plus en plus dure et fermée, poursuit Franck. A la moindre remarque, elle
montait s'enfermer dans sa chambre". Chaque jour, une bande de six à sept
garçons vient chercher la jeune fille à la maison. Sarah ne revient pas
avant 21 heures ou 22 heures. Un soir, elle disparaît jusqu'à 1 heure
du matin. "J'ai pris mon vélo, et je l'ai cherchée dans tout Roubaix,
dit Franck. Elle est revenue pendant mon absence. Sa mère l'a retrouvée
endormie devant la porte d'entrée. Elle avait les yeux enflés.
On a pensé qu'elle avait peut-être fumé quelque chose." En janvier, Sarah
reprend sa scolarité au collège Albert-Samain, plus proche du nouveau
domicile familial. La ronde des copains continue de plus belle dans la
rue bordée d'anciennes courées. Ces petites maisons en brique où, au temps
de la prospérité industrielle de la région, les patrons des mines et des
usines textiles logeaient les familles de leurs ouvriers. Franck refuse
désormais de laisser sortir sa belle-fille: "Plusieurs fois, ils m'ont
insulté. Ils donnaient des coups de pied dans la porte. Je suis allé déposer
une main courante au commissariat. Je croyais qu'il s'agissait
d'une affaire de racket." Le 15 janvier, à l'heure du déjeuner,
Franck reçoit un appel du collège sur son téléphone portable. On lui demande
de venir au plus vite chercher sa belle-fille. "C'est à ce moment-là que
j'ai appris qu'elle avait été violée dans l'établissement. Et surtout,
tout le reste…" Le matin même, sur le conseil d'une élève avec laquelle
elle a sympathisé, Sarah est allée voir l'assistante sociale du collège
et lui a avoué qu'elle avait été forcée la veille de pratiquer une fellation
sur deux élèves, derrière le gymnase, lors de l'intercours de 11 heures.
Devant le médecin scolaire aussitôt appelé à la rescousse, elle raconte
aussi le calvaire subi pendant des mois: les viols, les coups, les
menaces de s'en prendre aussi à sa sœur cadette si elle
parlait. "Il semble que ce soit l'agression dans l'enceinte de l'établissement
qui ait décidé sa nouvelle amie à la pousser à parler, dit Christian Maes,
principal du collège Albert-Samain. Cette dernière est en grande difficulté
scolaire. Elle fait partie d'une bande. Mais comme beaucoup d'adolescents
à problèmes, elle sait que le collège reste le seul lieu d'autorité et
de protection dans le quartier." Sur les 725 élèves de cet établissement
classé "sensible", 75% sont d'origine étrangère. 50% des parents de ces
collégiens sont au chômage. L'échec scolaire, la violence à l'école, les
enfants difficiles, c'est le quotidien. En tant que zone d'éducation prioritaire,
le collège bénéficie cependant de moyens matériels et humains qui permettent
d'encadrer au mieux des enfants devant lesquels nombre de parents
sont aux abonnés absents. "Une chose me rassure, continue Christian Maes: notre dispositif d'alerte interne a fonctionné. Mais cela ne répond pas aux questions que tout le monde se pose: comment se fait-il que personne n'ait soupçonné auparavant la violence qui s'était organisée autour de cette enfant?" |
||
Question sans réponse. Ou plutôt qui appelle tant de réponses… Le contexte local est si singulier que la tentation est grande de considérer ce viol collectif comme une conséquence de la misère et de la pauvreté qui accablent certains quartiers de Roubaix. Richard Olszewski, 38 ans, chargé à la mairie des relations police-justice et de la délinquance, pense avec raison que le triste décor dans lequel vivent ici nombre de familles n'est pas pour rien dans ce qui s'est passé. Mais aussi qu'un nouvel échelon dans la violence a été franchi. C'est en effet la première fois qu'on apprend qu'une "tournante" a lieu dans cette ville sinistrée par l'effondrement des industries minières et textiles. | ![]() |
|
Bien qu'actuellement en réhabilitation, la commune doit faire face à d'énormes problèmes sociaux et de santé publique. Le chômage, qui touche en moyenne 23% des 97000 habitants; le saturnisme, dont est victime un enfant sur dix; l'alcoolisme et le tabagisme chez les femmes enceintes, qui contrarient le développement normal du fœtus. Première cause de mortalité chez les Roubaisiennes de 35 à 55 ans: la cirrhose du foie. La région du Nord-Pas-de-Calais détient par ailleurs le "record" national des cas d'inceste et d'agressions sexuelles sur mineur. La criminalité liée à l'abus et au trafic de drogue est prégnante. "Il y a certainement une relation de cause à effet, dit Richard Olszewski. Mais dans tous les cas on se retrouve devant des jeunes dont les parents ont totalement baissé les bras, et qui n'ont pas transmis à leurs enfants les lois de l'apprentissage de la vie en société et du respect d'autrui. Ces gosses n'ont pas d'inhibiteurs. Le passage à l'acte est d'autant plus facilité." Pour le docteur Maurice Titran, pédiatre à l'hôpital de Roubaix et directeur du Centre d'Action médico-sociale précoce, le lien entre pauvreté et vulnérabilité est incontestable. Les agresseurs de Sarah doivent également être considérés comme des victimes. Même si auparavant il est indispensable qu'on leur dise quelle est la loi. "Ces adolescents vivent pour la plupart dans des familles qui n'ont pas la possibilité de réfléchir de manière complexe sur de longues périodes, parce qu'elles doivent constamment gérer l'urgence où les plonge leur précarité, dit le docteur Titran. Quand vous ne savez pas vous structurer dans le temps et dans l'espace, vous ne pouvez transmettre les références morales, religieuses ou philosophiques indispensables à l'éducation et à l'épanouissement d'un enfant." Rue des Arts, au siège de l'Association Education et Prévention (AEP), dont les onze éducateurs spécialisés travaillent auprès des jeunes des quartiers défavorisés de Roubaix, on constate que depuis deux ans de plus en plus de préadolescents de 11 à 13 ans sont en échec scolaire et font montre de comportements violents. "On les sent plus déstructurés que la génération précédente au même âge, dit Mustapha Lougrada, chef du service socioéducatif de l'AEP. Il semble qu'ils aient davantage de difficulté à se construire, tant au sein du cadre familial que dans celui de l'école et de la société, où ils ne parviennent pas à trouver de modèles d'identification." Les non-dits, les interrogations confuses sur la sexualité et le manque de dialogue entre garçons et filles rendent également ces adolescents plus vulnérables. "C'est difficile de sortir avec une fille du quartier, poursuit Mustapha Lougrada. Les garçons sont par ailleurs rejetés des boîtes de nuit, qui sont des lieux de drague. Ils n'ont pas d'argent pour se divertir. Et plus ils vivent de galères, plus ils se regroupent entre eux pour faire bloc." La petite Sarah, qui selon son avocate, Me Blandine Lejeune, est "psychologiquement détruite", a été éloignée de Roubaix et placée dans un foyer. Ses parents vont être relogés dans une banlieue située loin des lieux du drame. Me Emmanuel Riglaire, qui défend l'aîné des violeurs de Sarah, un jeune homme de 17 ans soupçonné d'avoir joué au proxénète, affirme que son client a pris conscience du mal qui a été fait à la victime. Ce mineur encourt au minimum dix ans de prison. | ||
Cependant, pour le docteur Michel Libert, qui est pédopsychiatre à Lille, la faute est aussi ailleurs. "La société, fondée sur la consommation et la satisfaction immédiate de ses désirs, propose des repères très contradictoires et ambigus aux jeunes, dit-il. Surtout lorsqu'on ne leur a pas appris à avoir la distance qui permet de prendre ou de rejeter le modèle proposé. De plus en plus d'adolescents, et même d'adultes, ont du mal à comprendre, par exemple, que l'encouragement à la permissivité et l'incitation au plaisir immédiat diffusés par les médias, et en particulier par la publicité, et la pornographie, sont pour une bonne part illusoires. D'où les transgressions et les passages à l'acte." C'est étrange à dire, mais les bourreaux sont aussi parfois des victimes. Sylvie Véran |
![]() |
L'express
06.12.2001
Scènes de viol en mineur
A Perpignan, une fille de 11 ans est devenue, pendant un an, l'objet sexuel d'une bande de garçons à peine plus âgés qu'elle. Une histoire édifiante à laquelle personne ne veut croire
C'est l'un de
ces faits divers qui affole les adultes, un charivari de symptômes sociaux,
un concentré de faillites éducatives, une histoire insensée
qu'on ne peut conclure que par une cascade de points d'interrogation. Comment
une petite fille de 11 ans et demi peut-elle devenir, pendant un an, dans
un quartier paisible de Perpignan, le jouet sexuel de 12 collégiens
très ordinaires, sans que ni les parents ni les enseignants
ne l'apprennent, sans qu'aucun enfant ne finisse par craquer?
Au bout d'un an, pourtant, une rumeur enfle à la rentrée.
Le 11 octobre, la conseillère d'éducation du collège
interroge Serena - appelons-la Serena - qui résiste, mais finit par
lâcher la vérité. Oui, depuis un an, cette gamine
qui se prenait pour une femme s'est retrouvée piégée
par des ados machos qui, eux, l'ont prise pour une esclave. Le
26 octobre, les habitants du quartier de Saint-Assiscle ouvrent,
horrifiés, leur journal: 12 de leurs enfants, de 12 à 16
ans, viennent d'être mis en examen pour "viols, complicité
de viols, et agressions sexuelles en réunion". Six d'entre
eux sont incarcérés au quartier des mineurs de la maison d'arrêt
de Perpignan. Ce que Saint-Assiscle ne sait pas encore, c'est que beaucoup
de collégiens vont voler à la défense de leurs copains,
se retournant contre la petite Serena, vite qualifiée de "pute".
Personne ne sait non plus que l'un des garçons, le soir même
de son arrivée en prison, a été violé par l'un
de ses codétenus, mineur lui aussi. C'est ce qu'affirme son avocat,
Me Etienne Nicolau. La direction régionale de l'administration pénitentiaire
ne dément pas.
Comment autant de désastres ont-ils pu s'enchaîner? A Saint-Assiscle,
ce "village dans la ville" de 8 000 habitants, assemblage de pavillons
individuels, de petits commerces et de résidences "à taille
humaine", comme on dit dans les plans d'urbanisme, c'est la consternation.
"On croyait ces histoires de tournantes réservées aux
banlieues parisiennes", dit cette mère venue chercher ses
enfants à la sortie du collège La Garrigole. Serena - qui a
été envoyée refaire sa vie en banlieue parisienne - y
avait redoublé sa sixième. "Elle n'avait pas de très
bonnes notes et répondait aux profs, se souvient D., 12 ans, qui était
dans sa classe. Elle était un peu fofolle." La fillette habite
dans un modeste pavillon, non loin du collège, avec ses deux soeurs
et ses parents, manoeuvres dans une entreprise de la région. Une famille
franco-maghrébine bien intégrée socialement. "La
maman était venue au collège parce que Serena s'était
battue avec une élève, raconte un éducateur de l'établissement.
Elle m'a paru une personne équilibrée qui suivait ses enfants."
Pendant leurs loisirs, les parents sont
très occupés à rénover
la maison. Serena rentre tous les jours à l'heure pour le
dîner. Elle se confie peu et pas le moindre indice n'indique qu'elle
vit un cauchemar.
Aux copains du collège la fillette préfère la compagnie
des grands de la cité HLM voisine. C'est là qu'elle rencontre
K., 15 ans. Un petit caïd de la cité, élève
dans un collège voisin. Premiers rapports sexuels. "Il
allait la voir de temps en temps, mais il s'en foutait, raconte aujourd'hui
un copain de K., il rigolait avec ça."
Et quitte à rigoler un peu plus, K. décide d'en faire profiter
les copains. Serena est "facile", assure-t-il. Les garçons
se passent le mot. Si les leaders de ces viols à répétition
ne sont pas des enfants de chur - le plus âgé, 16 ans,
est déjà connu des services de police pour une affaire de moeurs
- les suiveurs ont la réputation de garçons sérieux,
issus, pour certains, de milieux aisés. D'après leurs
avocats, la plupart n'ont pris conscience de la gravité de leurs
actes qu'après leur interrogatoire par les policiers. "C'était
un jeu", murmure l'un. "Elle était consentante", marmonne
l'autre. "Je serais passé pour un con si je ne l'avais pas fait",
a expliqué un des garçons, lors de sa garde à vue. Les
parents, eux, sont sous le choc. Seule une mère
savait que son fils de 14 ans avait eu des relations sexuelles
avec la petite fille. "Couvre-toi!" avait-elle
simplement recommandé. "Au départ, les garçons
ne se rendaient pas bien compte, mais très vite le jeu s'est transformé
en drame", dit Me André Coll, avocat de deux des garçons.
Le calvaire de Serena durera un an. Les "rendez-vous" ont lieu après
les cours dans des caves ou au bord de la rivière
du Têt. Les séances regroupent parfois jusqu'à quatre
garçons. Sodomie, fellation: les adolescents à peine
sortis de la puberté assouvissent leurs fantasmes. Le plus jeune,
12 ans, se contente de regarder. Tous s'assurent du silence et du consentement
futur de leur victime, en menaçant de tout dévoiler
à son père si elle n'accepte pas de revenir "jouer"
la prochaine fois.
"Allumeuse, frimeuse, salope..." Autour du collège de La
Garrigole, les anciens camarades de classe de Serena
n'ont pas de mots assez durs pour dénoncer l'attitude de... la fillette.
Pantalons "pattes d'eph", sacs de classe négligemment jetés
sur l'épaule, Cécile, Nadia et Delphine rentrent chez elles,
escortées en scooter par le copain de l'une d'elles. Toutes les trois
sont en classe de quatrième. "Franchement, si elle avait été
violée par les garçons, elle n'aurait pas rigolé et chahuté
comme ça avec eux... Et si elle couchait régulièrement,
c'est qu'elle le voulait bien." Comme la première cigarette, la
première relation sexuelle semble un passage obligé quand on
veut jouer aux grands.
Une seule assistante sociale pour 800 élèves ! : "C'était
la pute du collège! s'exclame Natacha, 15
ans, qui promène son chien devant l'une des résidences
proprettes du quartier. Même en hiver elle venait en débardeur
et en minijupe, on voyait sa culotte. C'est elle qui allait vers les mecs.
Une fois, en étude, elle s'est même vantée de coucher
avec eux." Elle raconte comment elle a lancé,
avec plusieurs élèves, une pétition de soutien aux 12
garçons mis en examen. Une initiative réprimée
par la direction du collège. "On a tous été choqués
de la réaction de nos enfants, reconnaît-on dans l'entourage
de la direction de l'établissement, les gamins ne font pas la différence
entre une fille qui a un fiancé chaque semaine et une fille qui a été
violée. C'est vrai qu'elle faisait plus que son âge et qu'on
lui disait parfois d'aller se rhabiller, mais de là à la traiter
d'allumeuse... Nous sommes tous désarmés devant leur façon
de voir les choses." Les adultes qui se sont occupés de Serena
depuis sa confession décrivent, quant à eux, une fille repliée
sur elle-même, meurtrie et immature. "Comment peut-on être
une allumeuse à 11 ans?" tempête Corinne Serfati, l'avocate
de Serena, qui ne veut pas croire aux réactions des élèves
de La Garrigole. "Des gamines habillées à la Loana ou
à la Britney Spears dès l'âge de 12 ans,
il y en a de plus en plus", déplore une mère de
famille. Mais cela n'en fait pas des femmes.
En fait, personne n'a envie de croire à cette histoire d'enfants perdus
dans un monde où le sexe est un dû
et où les
adultes sont si
loin... "Une seule
conseillère principale d'éducation et une seule assistante sociale
pour 800 élèves! s'insurge Marie-Pierre Sadourny-Gomez, présidente
départementale de la Fédération des conseils de parents
d'élèves. S'il existait des espaces de parole dans les collèges,
permettant aux enfants d'exposer leurs problèmes, on s'en serait peut-être
aperçu plus tôt." D'autres voix dénoncent le laxisme
des parents de Serena, coupables d'avoir négligé l'emploi du
temps de leur fille. "Dans ce genre d'affaire, il est inimaginable que
la victime se confie à ses parents, rétorque Me Serfati. La
honte est trop importante."
Le viol de Serena ne sera pas jugé avant un
an.
En attendant peut débuter le procès d'une société
qui ne reconnaît plus ses enfants. Alexandre
Lenoir
LE
MONDE 19 novembre 2001
Des publicitaires inquiets de l'image
occidentale auprès des musulmans par
Florence Amalou
Les multinationales américaines et européennes exportent depuis cinquante ans leurs valeurs consuméristes dans le monde, sans forcément tenir compte des aspirations locales. Des doutes apparaissent au sein du monde de la publicité, qui reste hésitant sur l'attitude à adopter.
L'image écornée
des marques occidentales pose problème aux publicitaires. | AFP
Rien n'a changé depuis le 11 septembre dans les publicités
occidentales exportées. Pour l'instant. Mercredi 14 novembre, des publicitaires
américains se sont exprimés devant le Comité des relations
internationales du Congrès à Washington pour "critiquer
les efforts de propagande" du gouvernement américain, qui tente
de revaloriser l'image des Etats-Unis auprès du monde arabe et des
communautés musulmanes : vouloir exporter une attitude américaine
sans "efforts considérables (...) ne fonctionnera pas", rapporte
la lettre en ligne adage.com. Plusieurs problèmes ont été
identifiés : le manque de prise en compte de la diversité de
pensées au sein du monde arabe ; l'influence "des feuilletons
télévisés et des films américains", ou la
musique contemporaine (rap, hip-hop...) et les marques comme McDonald's
et Coca-Cola, qui "incarnent ce qui est perçu comme la
grossièreté de notre société excessivement profane".
La critique vaut pour les publicités commerciales exportées d'un bout à l'autre de la planète. Dans le monde musulman, les valeurs américaines semblent désormais incarnées par les multinationales. Peu après le début des bombardements en Afghanistan, des actes de contestation contre Coca-Cola ont eu lieu. Le 25 octobre, en Inde, près d'une centaine de restaurateurs musulmans de Bombay boycottent les marques Pepsi et Coke, n'hésitent pas à jeter leurs stocks dans la rue. D'autres recouvrent les distributeurs automatiques de boissons d'un voile noir. Une usine d'embouteillage à Guntur (sud de l'Inde), a même été prise d'assaut. Certains radicaux prennent les symboles de la consommation occidentale pour cible, ce qui n'empêche pas Coca-Cola d'être largement visible à certains postes frontières entre le Pakistan et l'Afghanistan en ce moment.
FORCE DE FRAPPE
Des anecdotes
? "Le 11 septembre a changé la face du monde, mais pour l'instant,
en publicité, rien n'est perceptible, il y a juste des coupures dans
les budgets, des annulations de campagnes", tempère Mustapha Assad,
patron de Publicis-Graphics, quatrième agence de publicité au
Moyen-Orient. Ce que confirment certains publicitaires français. Mustapha
Assad, qui travaille au Liban, en Syrie, en Jordanie, mais aussi en Arabie
saoudite, au Yémen, au Qatar et en Turquie estime que, dans la région,
"la plupart des gens ne lient pas les problèmes politiques aux
questions de consommation". Selon lui, la publicité crée
la demande pour de meilleures conditions de vie, donne des objectifs à
atteindre pour un meilleur foyer, de meilleurs vêtements, de la meilleure
nourriture, selon la définition de Winston Churchill.
Largement plus
critiques, des professionnels américains et européens reconnaissent
que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la publicité a consisté
en une force de frappe expansionniste sans équivalent.
"Le
pouvoir des communications commerciales est plus important que jamais, indiquait,
en juillet, l'Américain Wally O'Brien, directeur général
de l'IAA (International Advertising Association). Chaque
nouvelle génération de consommateurs, pays après
pays, vit à travers les satisfactions
pratiques et psychiques apportées par
les marques." Qui sont majoritairement créées
et exportées par les multinationales occidentales. Le géant
Unilever, premier annonceur en Inde et en Indonésie, a dépensé
en 1999 plus de 3 milliards de dollars en publicité en dehors des Etats-Unis.
Procter & Gamble, premier annonceur en Syrie et en Egypte, diffuse ses
publicités dans 68 pays. Les campagnes passent les frontières
avec plus de facilité que jamais.
Le développement des médias internationaux, comme CNN, MTV ou le Wall Street Journal, a concentré la gestion des campagnes entre les mains de quelques groupes qui offrent un contenu éditorial presque similaire de New York à New Delhi, de Hongkong à Johannesborg, et l'accès, en théorie, à des consommateurs "qui se ressemblent". A condition, cependant, de considérer que le jeune Egyptien qui regarde MTV est amateur de rap et fan de la NBA (National Basket Association), qu'il a les moyens de consommer et que les langages utilisés ne butent pas sur des valeurs différentes d'un monde musulman.
Dans la région du Levant (Liban, Jordanie, Syrie, Iran et Irak) - 300 millions de dollars de publicité par an -, les tabous ne sont pas nombreux, mais la publicité doit respecter certains codes religieux. "On ne montre pas de femmes nues à la télévision, mais on peut les montrer non voilées, sauf en Iran où les conditions sont plus dures encore qu'en Arabie saoudite", explique M. Assad. Dans la région du Golfe, les contraintes sont plus fortes, surtout en Arabie saoudite sous le régime radical wahhabite. Les produits occidentaux sont promus en nombre (la région pèse pour 50 % des dépenses publicitaires du monde arabe) mais les femmes, forcément voilées, ne doivent apparaître que pour des produits qui les concernent directement.
Depuis les revendications médiatisées de peuples jusqu'ici sous-estimés en raison de leur faible pouvoir de consommation, une nouvelle réflexion s'est engagée dans les états-majors de groupes internationaux, comme Accor. "Avant, les références occidentales étaient en expansion, elles fascinaient tous les pays. De tous les côtés, il y avait une volonté de s'y conformer", analyse Bernard Emsellem, directeur de TBWA Corporate, qui préfère désormais parler "d'équité" et de "coresponsabilité". Pour l'instant, les campagnes mondiales utilisent des images communes - des stars du cinéma, pour L'Oréal -, mais la prise en compte de la dimension locale est faible. "Beaucoup de marques s'en foutent, et sont dans l'impérialisme",explique Daniel Fohr, directeur de création, associé de BETC Euro RSCG.
Pour preuve, Adidas "ne changera rien d'important" à sa stratégie, affirme son porte-parole : une même publicité pour tous les jeunes du monde, "la population la plus homogène en termes d'attitudes", explique Juliette Portalier, en charge des études consommateurs "Pulse" (McCann Erickson). Les pubs préférées des moins de vingt ans sont depuis six mois Nike, Adidas, Coca-Cola et Nokia. Dans toutes les régions du monde.
Florence Amalou
Var
Matin 07 novembre 2001
L'invasion
des affiches pornos
Palissades et murs toulonnais croulent sous le poids des placards à la gloire des sites Internet "hard" et des services minitel "roses". La municipalité "déclare la guerre" à ces afficheurs sauvages. Le planning familial projette une action symbolique le 8 mars.
Une femme à
genoux devant un homme nu, regard suggestif et lingerie en dentelle, prête
à passer à l'acte. Dans une revue spécialisée
pour vieux mâles à la libido en détresse, la scène
serait jugée suffisamment émoustillante pour être publiée.
Placardée à des milliers d'exemplaires aux entrées d'autoroute,
sur les panneaux d'expression libre, à portée du regard des
plus jeunes d'entre nous, la photo sème un émoi bien compréhensible.
Ces affiches aux couleurs criardes fleurissent depuis le mois dernier dans
le Var et les Bouches-du-Rhône : elles mentionnent un numéro
de téléphone surtaxé, un code minitel accessible par
le 36 15 ou une adresse Internet. Le nom est toujours évocateur. Les
responsables de cette campagne de publicité sauvage restent, eux, beaucoup
plus discrets. Pas d'adresse connue, aucune coordonnée officielle.
"Nous y
faisons la guerre" assure le maire de Toulon Hubert Falco qui a "chargé
les services Propreté de les faire enlever quand elles sont posées
sauvagement". L'adjoint concerné, Jean-Guy Di Giorgio, a lancé
des "opérations spéciales" afin de les éliminer
du paysage urbain. La municipalité travaille par ailleurs sur "une
charte de qualité" dite d'aménagement et d'esthétique
urbaine qui interdira de "faire n'importe quoi, n'importe comment, n'importe
où". Panneaux d'expression, mais aussi mobilier urbain, espaces
verts et voirie seront intégrés dans cette démarche.
Un énorme chantier qui a véritablement commencé cette
semaine avec une première réunion hebdomadaire et qui devrait
s'achever en mars 2002.
Sur le plan moral, le premier magistrat joue la prudence : "je ne voudrais
pas tomber dans l'excès de pudeur, mais il y a tout de même autre
chose à afficher dans notre ville que des affiches pornographiques.
Je comprends qu'il en faille pour tout le monde, mais je souhaiterais une
autre image de Toulon". Aucune sanction ni poursuite envisagée
à ce jour. Pour Jean-Guy Di Giorgio, la priorité "est de
guérir" le mal "avant de le prévenir".
Les associations
féministes réagissent plus ou moins vigoureusement à
ce phénomène. Sur leur site Internet (*), les "Chiennes
de garde" estiment qu'une "pub sexiste constitue une insulte collective
à toutes les femmes"
mais elles n'ont pas d'antenne constituée
à Toulon.
Le Planning familial, lui, est présent et bien présent. La Présidente,
Jeannine Braondlin proteste contre "l'utilisation de la femme comme objet
dans la publicité". Une action symbolique est prévue le
8 mars prochain, lors de la journée internationale de la femme. Ce
thème pourrait même devenir dans les mois à venir l'un
des principaux chevaux de bataille du Planning.
Autre type de réaction : à apposer des autocollants, qui renvoient à vile-image.fr.st. Un site Internet dressé comme une barricade qui pourfend toutes les campagnes d'affichage qu'il estime obscènes. Ces autocollants discrets ont fleuri ces derniers temps dans le centre-ville.
Toutes les associations ne montent pas aussi violemment au créneau. Echaudée, la Ligue des droits de l'homme prend des pincettes pour traiter ce dossier. Il est vrai qu'elle s'est opposée, par le passé, aux ligues morales qui réclamaient l'interdiction des affiches de cinéma ou exigeaient le classement sous X de films d'auteurs comme "Baise-Moi" de Virgignie Despentes. Pour la LDH, c'était "une atteinte à la liberté d'expression et de création".
Comment concilier
liberté et respect de la personne humaine ? Un débat de société
auquel ne pense visiblement pas la jeune femme de la publicité, quand
elle est dans cette tenue. Patrice MAGGIO
(*) www.chiennesdegarde.org
CE QUE DIT
LA lOI
"Atteinte à la dignité" Selon l'article 227-4 du Code
pénal, l'affichage pornographique est interdit :
"Le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser, par quelque moyen
que ce soit et quel qu'en soit le support, un message à caractère
violent ou pornographique, de nature à porter gravement atteinte à
la dignité humaine, soit de faire du commerce d'un tel message, est
puni de trois ans d'emprisonnement et 50 000 francs d'amende (7 622 euros),
lorsque ce message est susceptible d'être vu et perçu par un
mineur".
ILS ONT DIT
Jean-Claude, agent commercial se soucie de l'image donnée par cette
publicité sue l'esprit des plus petits : "Certes, on est dans
une société de consommation et les gens qui sont derrière
tout ça gagnent beaucoup d'argent et doivent être sujets à
la convoitise de la part de tous. Hélas, le matraquage est trop vaste,
notamment chez les plus petits. J'ai deux enfants en bas âge et c'est
difficile de les détourner de ces pubs dans les rues. C'est à
la limite de l'agression."
Louis, 67 ans, demande à ce que justice soit faite concernant cette débauche publique qui nuit au bon ordre : "Je ne sais pas ce qui se passe derrière tout ça, mais la mafia de la prostitution ne doivent pas être éloignées de certains de ces réseaux. Pour ma part, je n'y ai jamais fait appel et je pense que les cinémas pornos sont suffisant pour les gens en mal de sexe. Il est grand temps que la justice fasse quelque chose pour endiguer cette pornographie." Patrice Maggio
ARTICLES
|
|
Les
articles
et les discussions ci-dessous montrent que la presse a pris en compte
les revendications
du public au travers d'associations militant contre les abus du système publicitaire et en particulier des clichés sexistes qui y sont véhiculés dans une société où l'image a pris une importance majeure. |
ARTICLES
|